L'artistes du mois:
Du 5 septembre 2024 au 2 février 2025 au Kunstpalast (Palais des arts) de Düsseldorf se tient une exposition intitulée : Des trésors cachés. Œuvres de collections privées rhénanes. Il s’agit d’œuvres de Gerhard Richter, l'un des artistes plasticiens contemporains les plus connus, les plus appréciés et les plus cotés. Il est né en 1932 à Dresde, est de l’Allemagne puis RDA, il passe en Allemagne de l’ouest en 1961 et s’installe à Düsseldorf. Il vit aujourd’hui à Cologne. Gerhard Richter est considéré comme un homme discret et taciturne. Pourtant, il a accordé d'innombrables interviews au cours de sa vie. Elles racontent son amour du banal et sa haine des politiques et des conservateurs.
En 2012, Richter déclare : « Parfois, je pense que je ne devrais pas m'appeler peintre, mais faiseur d'images. Je suis plus intéressé par les images que par la peinture ». C'est pourquoi il ne travaille pas dans un seul style ou avec un seul genre d’images, mais il tente d’explorer toutes les formes possibles : figuratives, abstraites, tramées, monochromes ou multicolores... Cette exploration systématique fait de lui un artiste fascinant.
Il peint des images de rideaux gris, des structures tramées minimalistes, des carrés de couleur achetés dans les magasins de peinture, des monochromes gris, des surfaces miroirs, des espaces de couleurs superposées, criardes, produites avec la raclette comme instrument de peinture, qui permet la plus grande distance possible entre l'artiste et sa surface d’attaque. Ce n'est pas de la peinture comme expression de soi, mais ce sont des commentaires sur celle-ci.
Richter préfère laisser sa propre personne en dehors de la production picturale. En Rhénanie, dans les années 60, alors que de nouveaux courants tels que l'art conceptuel et Fluxus ( mouvement provocateur affirmant qu’il n’y a pas de différence entre l’art et la vie) voient le jour, l'abstraction devient chez lui une distance par rapport à son propre monde intérieur, c'est-à-dire un acquis central de la peinture autonome. Aux côtés de Sigmar Polke, Konrad Lueg ou Blinky Palermo, une nouvelle ironie et une nouvelle « coolitude » voient le jour. Il déclare, dans une interview du journal Die Zeit en février 2022 : « L'intention sous-jacente était de ... créer de l'art sans art à partir de quelque chose de dépourvu d'art. Je me suis rendu compte que le fait de peindre une photo, qui est de mauvais goût et épigonale, permettait de communiquer quelque chose de nouveau. Je tenais particulièrement à me démarquer d'un art au service de la politique de gauche, à la Hans-Peter Alvermann, où l’on pouvait lire à chaque pas ce qui était voulu. Il était important pour moi que l’on ne découvre pas de contenu dans mes tableaux. La plupart du temps, je détournais l’attention du fait que les modèles photographiques reproduisaient parfois des événements funestes. Il ne s’agissait en aucun cas de contenus politiques ou familiaux, mais de la banalité… Mon art n'a jamais été critique. L’art soi-disant critique de la société peut être bien intentionné, mais ce n’est pas de l’art…La rébellion est contraire à mon tempérament… J’ai toujours eu l’intuition résignée que nous ne pouvons rien faire, que l’utopie est inutile, voire criminelle ».
Les commanditaires qui souhaitaient remplacer un vitrail, détruit durant la guerre, de la cathédrale de Cologne souhaitaient que Richter propose une solution figurative, la représentation de six martyrs modernes. Mais l'artiste, qui s’est déclaré non croyant, a refusé cette consigne et a eu recours pour son projet à un modèle qui se trouvait dans son fonds depuis plus de 30 ans : il a rempli la surface de la fenêtre avec 11.263 carrés de couleurs dans 72 teintes différentes et il a laissé le hasard, piloté par ordinateur, décider de leur disposition ! En réponse aux critiques faite par l’archevêque il déclara à maintes reprises qu'il fallait « affirmer la perte du “centre”, comme la perte de l'esprit, de l'attitude et de l'individualité. Être une machine à réagir, instable, indifférente, dépendante. S’abandonner à l’objectivité. J'ai toujours détesté la subjectivité ».
Mais quelques-unes de ses réalisations semblent contredire cette posture de « non-engagement ». En effet il a abordé des thèmes historiques hautement sensibles, notamment ceux qui ont trait à la mémoire collective et à l'histoire allemande. Un exemple célèbre est la série « 18 octobre 1977 », qui traite de la RAF (Rote Armee Fraktion – Fraction armée rouge) et du terrorisme allemand.
En 2014 il crée une peinture abstraite intitulée Birkenau. Dans cette œuvre en quatre parties, composée de peintures de grand format, Richter a utilisé comme modèles des photographies authentiques prises secrètement en 1944 par le Sonderkommando des prisonniers juifs du camp de concentration d'Auschwitz-Birkenau.
Ses œuvres sont extrêmement diverses tant figuratives qu’abstraites. Il n'a cessé d'expérimenter de nouvelles approches artistiques, notamment la photographie, le travail du verre et la sculpture.
Les œuvres de Richter atteignent souvent des prix élevés sur le marché de l’art, ce qui accroît encore sa popularité. Il est régulièrement classé parmi les artistes vivants les plus chers, ce qui consolide sa position sur la scène de l'art contemporain.
Gerhard Richter est considéré comme l'un des artistes contemporains les plus importants au monde. Il est réputé être un pionnier ayant une grande influence sur le développement de l'art. De ce fait ses œuvres atteignent souvent des prix très élevés, car elles sont considérées comme ayant une valeur à la fois culturelle et historique.
Son âge avancé, 92 ans, signifie pour les collectionneurs, les conservateurs de musées et les marchands de tableaux que ses productions vont se raréfier, ce qui en augmente la valeur marchande.
Un tableau de Gerhard Richter est devenu un symbole de raffinement et d’exclusivité, à l'instar d'artistes célèbres comme Picasso ou Warhol.
La combinaison de l'importance artistique unique de Richter, de la rareté de ses œuvres, de la demande des collectionneurs et des institutions, des records de vente aux enchères et de la pertinence temporelle de ses thèmes, contribuent à faire de son œuvre l’une des plus chères au monde.
Gerhard Richter fait partie d’un courant de recherche picturale qui s’est développé dans les années 1960 et qui tendait à mettre à distance les émotions. N’était-ce pas en lien, en réaction aux événements de la Seconde guerre mondiale qui a fait exploser, de façon paroxystique, les émotions négatives ?
Il est intéressant que nombre de ces artistes aient choisi de travailler à partir de photographies. C’est le cas du peintre anglais David Hockney (né en 1937), qui comme Richter est devenu une référence mondiale et dont la cote est la plus élevée de tous les artistes plasticiens vivants.
La distanciation, la tentative d’objectivité, la volonté de ne rien dire de soi nous donne une sensation de froideur. C’est une peinture au quatrième degré. Si le premier degré est la perception que l’artiste a de la réalité, que le deuxième degré c’est son ressenti, il en introduit un troisième en photographiant ce que lui ou d’autres ont perçu, pour ensuite déconstruire cela.
Nous avons eu l’impression que Richter avait peur de ses propres émotions, peur de se découvrir, peur d’être catégorisé ? Façon de questionner les tendances du monde actuel à créer, à l’infini, des sous-catégories qui regroupent des personnes à partir d’un point commun plutôt qu’en fonction du statut social, de valeurs, d’idées, d’une conception du monde, d’une culture ? Ou peur de ne pas être unique ?
Cette exposition a le mérite, au-delà de nous faire découvrir un artiste mondialement connu, peu en France, de nous questionner sur le statut des émotions dans l’art.
Peter Winz & Joseph Kastersztein